Généralités
Il est maintenant bien connu que les systèmes de self-défense dits "internes, tels le Taï Chi Chuan, mettent en avant la puissance produite par la mobilisation de l'énergie vitale et non celle de la seule puissance musculaire. La recherche d'une grande force physique implique un temps d'entrainement consacré à l'augmentation du volume et de la mobilisation musculaire. Plus on veut disposer d'une grande force, plus on passe du temps à développer le physique. En Tai Chi Chuan c'est exactement pareil mais dans une direction opposée. Plus on veut développer son énergie interne et sa capacité à la mobiliser, plus on passe du temps à détendre ses tensions musculaires. Dans les deux cas, ce temps est au détriment de celui consacré au travail spécifique des techniques de combat: blocages, parades, attaques, contre-attaques, esquives, immobilisations, projections, saisies, etc. Cependant, dans les deux systèmes, on ne peut faire l'impasse sur ce temps de pratique. Un pratiquant de Hung Gar ayant l'apparence d'un fétu de paille ne ferait peur à personne, et un pratiquant de TCC à l'allure d'haltérophile et lourd comme une enclume ne serait pas très convaincant non plus. On pourrait alors croire qu'il est plus facile d'acquérir la détente nécessaire à la pratique correcte du TCC que la puissance musculaire mise en avant dans les styles dits "externes", ou styles durs. Il n'en est rien. Le relâchement musculaire et la détente générale de l'organisme, qui seuls permettent une bonne intégration des énergies vitales, leur mobilisation et leur application, demandent un long entrainement, une ferme détermination, et une attention de presque tous les instants, pendant comme hors des séances d'entrainement.
Ce chapitre consacré aux formes et mouvements des membres supérieurs spécifiques au TCC n'a pas pour objet de dénombrer et de décrire les diverses techniques exécutées dans les routines classiques. Son sujet essentiel est le comment, la manière, dont ces techniques doivent être exécutées au niveau des membres supérieurs. Les routines, katas au Japon, tao lu en Chine, constituent des sortes de bibliothèques, de répertoires, des techniques de combat des diverses écoles et styles d'arts-martiaux. Certains tao lu sont composés de quelques techniques, d'autres peuvent en compter plusieurs dizaines. Les liaisons entre les différentes techniques, ou formes, qui composent les tao lu, sont très importantes en TCC, certainement plus que dans de nombreux autres styles. C'est certainement un des aspects, avec l’exécution lente de certains enchainements, qui caractérisent le plus cette discipline. Et c'est aussi ce qui lui permet d'offrir plus au public que ne le ferait un simple art-martial.
Les formes de mains.
Il y a trois formes de base : la main franche - zheng shou, le crochet - gou et le poing - quan. Chacune a des variantes, qui peuvent être prises selon le sens applicatif que l'on donne (ou connait) aux formes que l'on exécute. C'est surtout dans l'exécution rapide des formes d’applications techniques, telle la seconde routine du style Chen, connue sous l’appellation des "poings cannons" Pao Chui. Pour les pratiquants du style Yang non orientés vers la pratique martiale, les trois formes de base peuvent suffire.
Les trois formes de base des mains.
La main véritable (vraie, franche) 正手 zhèng shǒu.
C'est la forme de base des mains. Les doigts sont à peine écartés, le pouce ouvert en forme de fleur de lys. La paume n'est ni trop en tension ni trop détendue, de manière a y sentir toujours une certaine énergie active, comme si les doigts étaient très légèrement tirés en avant.
La main en crochet 手鉤 Shǒu gōu.
On trouve communément deux formes à la main en crochet. Ici la forme exprime plutôt une saisie, avec le pouce au contact du seul index, ou à la jointure index majeur, et les quatre autres doigts alignés côte à côte. Dans d'autres écoles, où l'on prétend exécuter des frappes avec les mains en crochet, les extrémités des doigts sont plutôt joints en forme de fleur de cerisier, formant une couronne à cinq pétales. La forme que nous préconisons permet de conserver une détente correcte des doigts et du poignet tout en donnant un sens cohérent à l'acte de former le crochet, celui d'une saisie nette et aisée.
Le poing 拳 Quan.
La main fermée pour former un poing garde un espace intérieur vide d'environ un doigt. Il faut éviter de contracter les tendons et muscles de l'avant-bras. La bonne tenue est d'imaginer tenir un petit animal, oiseau ou souris, de manière a ne pas le laisser échapper mais sans l'étouffer non plus. Dans l'exécution basique d'un tao lu, l'espace intérieure vide est aligné dans l'axe de l'avant-bras.
Variantes des trois formes de base.
La paume de dragon 龍掌 Long zhang
Les doigts sont un peu plus ouverts que dans la forme de base, avec une plus grande tension de la paume. C'est une forme que l'on peut prendre pour marquer une pression plus forte de la paume, comme dans "Reculer en repoussant le singe" ou "Brosser le genou et repousser le singe".
La griffe de dragon 龍爪 Long zhǎo
La main est un peu plus fermée que dans la forme de base, légèrement creusée. C'est une forme que l'on peut prendre pour parer, ou venir au contact et contrôler".
La main sabre 手刀 Shou dao
La main qui tranche de haut en bas ou frappe latéralement, du côté externe".
La main qui transperce 手鑽 Shǒu zuàn
Tous les doigts bien serrés, l'énergie est mise sur l'axe central de la main et vers la pointe des doigts".
La main vrille 扭手 Niǔ shǒu
La racine du pouce et celle de l'auriculaire sont rapprochées comme pour former une tuile. Forme de main pour enrouler, contourner. Faire un mouvement spiralé avec un pivot du poignet et la main vrillée.
Le poing en coin 楔拳 Xiē quán
Le poing est mis en forme de coin, ou de pique, vers la première articulation de l'index. La base de la paume sous le pouce est refermée contre les trois derniers doigts et le pouce étaye la première phalange de l'index. Forme des poing que l'on peut prendre pour les mouvements "former les sept étoiles" ou "frapper les oreilles du tigre" (parfois appelée "les deux pics percent les oreilles").
Les formes des membres supérieurs.
Rappelons d'abord les principes édictés par Yang Chen Fu dans ses écrits : "Les épaules sont relâchées et les coudes tirés vers le bas". Ces indications se retrouvent dans toutes les écoles des divers styles de TCC. On ne devrait donc jamais voir les épaules monter et descendre plus ou moins régulièrement, ou les coudes raidis dans des extensions complètes, ou même dont le pli pointe vers l'extérieur et non vers le bas. Ces défauts, dus à un relâchement insuffisant des membres supérieurs, sont malheureusement courants. Le relâchement correct, des membres supérieurs comme dans l'ensemble du corps, est cependant difficile à obtenir et demande un long entrainement. Remarquons d'abord que l'expression "coudes tirés vers le bas" suggère une volonté d'agir sur ces articulations qui dépasse la simple détente. Si on se met, par exemple, dans la position finale du mouvement "Repousser", ou celle "Presser en avant", ou encore "Brosser le genou et repousser le singe", et que l'on augmente la pression du pli des coudes vers le bas, on peut sentir que cela se transmet jusqu'aux omoplates, et pas seulement aux épaules. Mains, avant-bras, bras, épaules et omoplates forment donc un ensemble sur lequel il faut travailler pour obtenir le relâchement correct. La détente maximale y est atteinte quand on ne voit aucun mouvement dans les omoplates pendant que bras et mains se meuvent tout au long de l'enchainement. Celles-ci ne montent et ne descendent pas, ne s'écartent pas latéralement avant de se resserrer, ne saillent pas dans le dos avant de s'effacer, etc. C'est la détente que les débutants doivent s'astreindre à atteindre, avant de modifier cela, plus tard, dans des pratiques d'un niveau supérieur.
- Conduire les mains depuis le Centre:
Les mouvements des mains sont initiés et conduits depuis la taille, laquelle fait avancer ou reculer, pivoter d'un côté ou de l'autre, le tronc. Le mouvement doit donc naitre à la taille, être transmis au haut du tronc, qui le transmet aux épaules jusqu'aux mains. Nous avons vu que la taille commandait aussi aux déplacements, et aux flexions et extensions des membres inférieurs. Il en va de même pour les membres supérieurs. Malgré la grande variété des formes de mouvement exécutées par les membres supérieurs, toutes doivent être générées, et conduites, depuis l'axe central, la taille, et le tronc. Quand on réalise cela on a intégré le principe "Quand le centre bouge, tout bouge. Quand le centre s'immobilise, tout s'immobilise". Peu de pratiquants maitrise ce principe. Comme pour les déplacements des membres inférieurs, il est courant de voir des bras et des mains en mouvement alors que le tronc est immobilisé dans une posture fixe. Ne bouger qu'un seul bras alors que l'autre est immobile est aussi une erreur. Le mouvement au centre doit se propager dans la partie gauche et droite du corps, et, quels que soient les mouvements des membres supérieurs, maintenir la mobilisation et l'activité.
- Les trajectoires:
Une des règles principales quant à la forme des bras pendant l'exécution des divers mouvements est de les maintenir en arcs plus ou moins ouverts ou fermés, mais avec le moins d'angles et de plis possibles. Il ne convient pas non plus de les étirer dans des extensions complètes ou de les fléchir dans des flexions trop fermées, les aisselles devant toujours restées dégagées. Les mains effectuent des trajectoires sinueuses, circulaires, spiralées, mais ni trop rondes, ni trop carrées. Si l'on prend l'exemple d'un mouvement de parade, trop de rondeur implique d'être en retard pour une interception efficace d'une attaque, et une trajectoire trop anguleuse donne trop de puissance et une prise de contact dure, comme les blocages typiques du karaté de l'avant-bras. Les trajectoires qu'il faut surtout éviter sont les balayages en allers-retours, comme le mouvement d'un essuie-glace de parebrise automobile, et les mouvements d'arrière en avant sur des lignes droites, comme des pistons.
- Les rotations articulaires:
Dans de nombreux mouvements les poignets et les mains pivotent dans des rotations dextrogyres ou lévogyres. Ces rotations doivent aussi être conduites depuis la taille, laquelle devient alors comme la roue principale d'un engrenage complexe, formé des douze articulations principales des membres supérieurs et inférieurs.
- Identifier les énergies:
Nous avons que l'activité dans les membres inférieurs pouvait se différencier en énergies actives et/ou passives, en plein ou en vide,Yin ou Yang. C'est la même chose dans les membres supérieurs et l'on doit aussi en développer la perception. Par exemple dans le mouvement, ou la forme, repousser, l'énergie dans les deux bras est Yang, les deux mains s'élevant et poussant en avant. Dans la forme "brosser le genou et repousser le singe" l'énergie de la main qui pare (brosser le genou) est d'abord Yang tandis que l'autre est Yin. Puis la main qui a paré devient passive, Yin, pendant que l'autre main finit l'action en frappant de la paume ou en repoussant, et donc est en phase Yang à son tour. Ainsi énergie Yin et énergie Yang s'associent, se complètent, s'inversent, selon les formes exécutées, et cela doit être étudié jusqu'à les identifier clairement. Cette étude, comme pour les déplacements, ne prend place que quand l'exécution des routines au niveau physique a atteint un degré de maitrise suffisant.
- Les liaisons communes:
Un des aspects les plus méconnus, ou pourtant des plus essentiels, des enchainements, routines ou tao lu, est la notion de transformations communes. Les transformations communes, c'est les formes similaires en début d'exécution de certains mouvements, mais dont la fin est différente. Par exemple pour les mouvements "saisir la queue de l'oiseau", "parer" (peng), "séparer la crinière" et "tisser et lancer la navette" les bras se placent au début dans une position similaire mais achèvent leurs mouvements dans des formes très différentes.
Forme de transition commune.
Il est important de repérer ces formes de transitions communes. On les appelle liaisons communes, transitions communes ou transformations communes. Plus on en maitrise la forme et la dynamique plus en ressent le gout et l'énergie spécifique. Et surtout, et là on on aborde une des qualités supérieures du TCC, on perçoit le principe fondamental des transformations. Celui-ci établit que tout état comporte un potentiel de possibilités. Générées à partir d'une même forme initiale, d'un même état, d'une même situation, d'une même dynamique, les mutations diverses exécutées dans les tao lu imprègnent le psychique du pratiquant. Celui-ci peut alors réaliser qu'il en va de même dans la vie courante. Qu'il n'est pas enfermé dans un seul type de réponse pour chaque situation qu'il rencontre, surtout les mauvaises, mais au contraire qu'elles peuvent être résolues de différentes manières. Tout état, toute situation, sont les matrices d'un champ de possibilités, rien n'est fermé ni absolument déterminé. Étudiez cela par les transformations communes et mutations du Taï Chi Chuan et appliquez en le principe dans votre vie quotidienne.
Les mouvements principaux des membres supérieurs.
- Parer vers l'intérieur.
- Parer vers l'extérieur.
- Parer bas de l'intérieur vers l'extérieur.
- Parer en dégagement vers le haut.
- Presser de la paume vers l'avant.
- Frapper de la paume en avant.
- Presser ver le bas de la paume.
- Presser vers le haut de la paume.
- Piquer de la pointe des doigts.
- Percer, transpercer.
- Trancher, la main en sabre.
- Frapper latéralement, la main en sabre.
- Agripper et tenir.
- Saisir.
- Dégagement de saisie.
- Clé d'immobilisation.
- Tordre.
- Tirer, vers le bas, l'arrière, latéralement.
- Dévier le poing fermé.
- Coup de poing droit (direct), descendant (enfonçant), montant (uppercut), en crochet, en biais.
- Coup de poing ressort.
Tous ces mouvements sont inclus dans la forme traditionnelle longue. Enfin, les mouvements des membres supérieurs comprennent aussi des techniques de coude et d'épaule.
Commentaires et instructions des maîtres du passé.
Expliquer les principes du Tai Chi, par Yang Banhou:
"La «paume» est la zone de la main sous les doigts et au-dessus du poignet. La «main» fait référence à l'ensemble, du poignet jusqu'au bout des doigts. Un «doigt» fait référence à l'un des cinq doigts. Un «poing» est lorsque les cinq doigts sont croisés vers l'intérieur pour souligner le dos de la main. Les techniques de paume consistent à pousser vers le bas et à pousser vers l'extérieur. Les techniques des doigts sont question de saisie, de pétrissage, de capture et de scellement. Les techniques manuelles sont des questions d'écraser, de broyages, de frottement. Les techniques de poing sont des questions de frappe.
Techniques de poing: Parer et bloquer, Coup de poing au pubis, Sous le coude, Frappe jetée du tronc, et au-delà de ces quatre, il y a aussi le Coud de poing renversé.
Techniques de paume: Brosser le genou, Échanger les paumes, Simple fouet, A travers le dos, et au-delà de ces quatre, il y a aussi la Paume filante (fileuse).
Techniques de la main: mains nébuleuses, main levée, main saisissante, mains croisées, et au-delà de ces quatre, il y a aussi la main inversée.
Techniques des doigts: plier, étendre, pincer, sceller, et au-delà de ces quatre il y a aussi l'estimation, qui est aussi appelée «mesures réductrices» ou «recherche de points d'acupuncture». Les cinq doigts ont également des fonctions à cinq doigts, fonctionnant comme une main entière ainsi que des doigts individuels, et donc ceux-ci peuvent être appelés techniques de la main ou des doigts: tire-bouchon, plantation, vrilleur, ou fermeture vers l'intérieur, et au-delà de ces quatre mains / techniques du doigt, il y a aussi «debout seul».
L'index est le doigt impatient, le doigt d'épée, le doigt d'assistance ou le doigt collant. Le majeur est le doigt central, le doigt de fermeture, le doigt d'accrochage ou le doigt barbouillant. L'annulaire est le doigt complet, le doigt qui l'entoure, le doigt échangeur ou le doigt couvrant. Le petit doigt est le doigt secourable, le doigt qui guérit, le doigt séduisant ou le doigt suspendu. Bien que les noms de ces techniques soient faciles à comprendre, ils sont difficiles à appliquer, même avec une instruction personnelle sur les méthodes plus profondes.
Techniques de paume supplémentaires: paumes face à face, pousser la montagne, tirer sur l'oie, écarter les ailes.
Techniques de doigts supplémentaires: fermeture étanche, jab en position croisée, flexion de l'arc, travail des navettes.
Techniques de main supplémentaires: tendre la main vers le cheval, plier l’arc, capturer le tigre, les mains de la jeune fille, les mains du tigre assis.
Techniques de poing supplémentaires: Frappe à travers la montagne, Frappe sous la feuille; Frappe tournante derrière, Frappe hors tempo.